Le processus scriptural nothombien : une identité hybride

Le processus scriptural nothombien : une identité hybride

Eolia Verstichel-Boulanger / Université du Luxembourg / Luxembourg
https://orcid.org/0000-0002-5653-5448

Cet article vise à montrer les raisons pour lesquelles l’œuvre d’Amélie Nothomb échappe à la classification. L’œuvre d’Amélie Nothomb ne correspond pas à l’expérience esthétique antérieure car sa production littéraire montre une évolution de celle-ci par le croisement de plusieurs concepts et de plusieurs registres. Son œuvre n’est donc que mutation et hybridation tant dans sa forme que dans son contenu. De plus, sa production littéraire remodèle des concepts comme celui de la transfictionnalité, ce qui crée des caractéristiques et une identité qui sont propres à Amélie Nothomb.
Mots-clés : Nothomb ; transfictionnalité ; récriture ; intertextualité

1. Introduction

En 1992, Amélie Nothomb publie son premier roman Hygiène de l’assassin. Cette œuvre connaît un indéniable succès et depuis, l’autrice ne cesse de publier des romans au rythme régulier d’un par an. Adaptée au cinéma, au théâtre, à l’opéra, elle est traduite dans le monde entier et ses nombreuses interventions à la télévision et à la radio en font une figure littéraire très médiatisée. D’un point de vue académique, l’œuvre d’Amélie Nothomb n’a pourtant fait l’objet que de très peu de critiques. Cette absence de critique dans la recherche littéraire est en contradiction avec une œuvre présente sur la scène littéraire francophone depuis 1992, où l’autrice rencontre des difficultés dès sa première publication à se faire une place dans le milieu littéraire, et par extension dans le canon littéraire français et ce malgré une place dans les meilleures ventes. Il y a un paradoxe dans la réception de l’œuvre d’Amélie Nothomb, comme le souligne Élise Hugueny-Léger :

On lui reproche d’être trop visible, trop lue, de publier trop fréquemment des livres courts, aux intrigues faciles, qui ne vont guère au-delà du divertissement. Les critiques qui sont adressées à sa personne et à ses livres (et les deux sont souvent confondus) ne sont pas isolées, et même plutôt courantes dans un pays (la France) où l’on se méfie des auteurs à succès. Paradoxalement, une partie de la critique et du lectorat reprochent aux livres de Nothomb des aspects que certains qualifieraient de qualités : non seulement la capacité à produire des livres divertissants et faciles à lire, mais aussi son excès d’érudition, ses réflexions sur l’acte créateur, et la brillance des échanges entre les personnages. (Hugueny-Léger, 2019, p. 1)

La production de Nothomb « échappe à la classification » (Hugueny-Léger, 2019, p. 1), car en effet, l’autrice a recours à des registres populaires et savants tout en détournant des textes comme les contes, les récits mythiques et mythologiques, les dialogues érudits, le roman policier, ainsi que des modes contemporains de narration comme l’autofiction. En effet, de nombreux livres de l’autrice sont la conjonction de deux pactes, le pacte autobiographique et le pacte fictionnel puisqu’elle utilise le roman pour raconter des événements de sa vie, bien qu’elle respecte la chronologie des événements, il n’y a aucun paratexte ou préface de l’autrice nous permettant de savoir qui est le « je » qui nous raconte l’histoire. Par exemple dans son roman Antéchrista, nous savons que cette histoire parle d’elle puisqu’elle nous l’apprend lors d’une interview : « Je parle de moi adolescente » (Interview pour RTS le 15.10.2003),[1] cependant l’autrice mélange le « je » fictif au « je » autobiographique laissant ainsi le doute entre la narratrice et l’autrice. C’est pourquoi pour Élise Hugueny-Léger l’autrice « joue avec les connaissances préétablies des lecteurs, et c’est dans le motif de la reprise de schémas connus et reconnaissables qu’elle va puiser et construire une bonne partie de son œuvre. » (Hugueny-Léger, 2019, p. 1). Aucun de ses livres ne rentre dans une classification car ils sont un croisement de plusieurs concepts, de plusieurs registres et c’est en ce sens que nous pouvons parler de mutation et d’hybridation. Amélie Nothomb propose au lecteur un bouleversement dans ses habitudes de lecture.

2. Une production littéraire hybride

Les deux ouvrages de Hans Robert Jauss, Pour une esthétique de la réception (1978) et Pour une herméneutique littéraire (1988), proposent une conception de l’œuvre qui donne un rôle déterminant au lecteur, ce qui vient appuyer notre propos. Le critique y définit les concepts d’« horizon d’attente » (Jaus, 1978, p. 55), autrement dit l’horizon d’attente du lecteur, et d’« écart esthétique » (Jauss, 1978, p. 59), selon lequel une grande œuvre rompt avec les formes préétablies et bouleverse ainsi les attentes du public et les habitudes du lecteur. Selon lui, bien que l’œuvre n’existe pas sans lecteur, l’expérience esthétique est d’abord intersubjective car une œuvre nouvelle est perçue par le public à travers des références et des conventions qui ont été créées par les œuvres antérieures, et, par conséquent, elle contribue à les modifier. En ce sens, nous pouvons voir que la production littéraire d’Amélie Nothomb en est un bon exemple puisque l’hybridité de celle-ci modifie ces conventions et les modifie à tel point qu’elle n’est plus classifiable.

En effet, après analyse des livres d’Amélie Nothomb, nous pouvons les définir comme autofiction, terme que nous devons à Serge Doubrovsky, il nous donne cette définition :

Le roman autobiographique s’inscrit dans la catégorie du possible, du vraisemblable naturel. Il doit impérativement convaincre le lecteur que tout a pu se passer logiquement de cette manière. Faute de quoi il bascule dans un autre genre qui, lui, mélange vraisemblable et invraisemblable, l’autofiction. (Doubrovsky, 1977, p. 29)

Cette hybridité des genres est le croisement entre le récit d’événements de la vie de l’autrice et des modalités narratives et du paratexte relevant de la fiction. Ce genre se différencie du genre autobiographique parce que l’autrice nous livre sa vie sous forme fictive et romancée, ce qui caractérise parfaitement l’œuvre d’Amélie Nothomb. Nous retrouvons dans certains de ses livres une narratrice homodiégétique, cependant l’autrice ne dévoile pas l’identité du « je », pour cela, il faut écouter ou lire ses diverses interviews pour avoir plus d’informations concernant la véracité des faits ainsi que l’identité de l’autrice, de la narratrice et du personnage. Le pacte autobiographique n’est donc pas respecté puisqu’il est « l’affirmation dans le texte de cette identité, renvoyant au dernier ressort au nom de l’auteur sur la couverture » (Lejeune, 1996, p. 26). Amélie Nothomb nous propose de jouer à croire ce qu’elle va dire, ce qui relèverait plutôt du pacte fictionnel, cependant, parfois quelques indices sont laissés par l’autrice pour nous permettre de faire le lien narratrice-autrice. Ces récits sont donc fondés sur son identité, celle du narrateur et du personnage, tout en s’annonçant comme étant des fictions. Ils sont le mélange entre faits réels et fictifs.

Dans Antéchrista (2003), récit de Blanche, jeune adolescente de 16 ans qui veut se lier d’amitié avec Christa du même âge qu’elle. Lorsque Christa lui raconte qu’elle vient d’un milieu défavorisé, qu’elle doit travailler dans un bar pour payer ses études et qu’elle doit se lever à quatre heures du matin tous les mardis pour arriver à l’heure en cours, Blanche demande à ses parents si Christa peut dormir chez eux tous les lundis afin qu’elle puisse se lever plus tard. Ils acceptent et le cauchemar de Blanche commence, entre manipulation et mensonges. Nous connaissons dès les premières pages le nom du personnage principal : « Comment tu t’appelles ? Me demande-t-elle. – Blanche et toi ? – Christa » (Nothomb, 2003, p. 8). Nous pourrions donc penser que ce « je » n’est pas Amélie Nothomb, cependant lors de nombreuses interviews Amélie Nothomb affirme avoir vécu la situation de Blanche et qu’elle a bien connu une certaine Christa. « J’ai été trahie plus qu’à mon tour. Avec Christa, l’histoire a quand même duré cinq ans » (Castro, 2003, p. 70). Le « je » d’Amélie Nothomb reste donc mystérieux.

Dans ses œuvres, en plus de l’écriture de soi et de la fiction, nous retrouvons des intrigues que nous pouvons emprunter au genre policier : la disparition dans Péplum (1996), récit à la première personne d’une romancière dont les initiales « A.N » laisse penser au lecteur que le personnage principal, la narratrice et l’autrice sont une seule et même personne. Ce roman est dit d’anticipation puisqu’il se déroule en 2580, la romancière se réveille à l’hôpital après une opération sous la garde de Celsius qui lui apprend que 585 années sont passées entre le moment où elle s’est endormie pour l’opération et le moment où elle s’est réveillée : « Hélas, je suis au regret de vous révéler la vérité. Nous ne sommes pas le 8 mai 1995. Nous sommes le 27 mai 2580. » (Nothomb, 1996, p. 14). Elle découvre à travers un dialogue avec Celsius comment est devenu le monde en cinq siècles. Ici donc, nous avons un genre hybride entre l’autofiction, le roman policier et un genre majeur de la science-fiction qu’est le roman d’anticipation. Amélie Nothomb joue avec les conventions, les modifie afin d’imaginer comment sera notre monde dans quelques années.

Nous retrouvons également dans d’autres de ses livres, des intrigues que nous pouvons emprunter au genre policier mais que nous ne pouvons lire comme cela grâce à la forme dialoguée de ceux-ci. Dans Journal d’hirondelle (2006), c’est la conspiration. Suite à un chagrin d’amour, un jeune coursier décide de changer d’identité et devient tueur à gages. L’autrice commence ce livre à la troisième personne du singulier « on » : « On se réveille dans l’obscurité sans plus rien savoir » (Nothomb, 2006, p. 7), ceci ne permet pas au lecteur d’identifier la voix narrative. Ensuite, le « je » intervient mais rien ne nous indique l’identité de ce « je » ce qui vient renforcer cette idée de quête d’identité : « En quoi consiste la vie en cette fraction de seconde où l’on a le rare privilège de ne pas avoir d’identité ? » (Nothomb, 2006, p. 7). Les changements d’identité sont fréquents dans l’œuvre de l’autrice, en effet, dans Le fait du prince (2008), la vie de Baptiste Bordave va totalement changer lorsqu’un homme sonne chez lui pour téléphoner et qu’il meurt subitement. Ne sachant que faire, il décide de prendre l’identité du mort, il vit une nouvelle vie mais est vite rattrapé par son passé et est obligé de fuir : « Je voulais vivre à grandes enjambées, m’exalter d’exister. Rien de tel que d’adopter l’identité d’un inconnu pour connaître l’ivresse du large. » (Nothomb, 2008, p. 27). La séquestration et la torture physique et/ou morale sont également des thèmes récurrents dans l’œuvre d’Amélie Nothomb, dans Les Catilinaires (1995), un couple de retraités réalise son rêve, celui d’avoir une maison à la campagne. Par politesse, ils font la connaissance de leurs nouveaux voisins, un ancien médecin Palamède Bernardin et sa femme. À partir de ce jour, leur vie va devenir un enfer quand tous les jours de 16h à 18h, Palamède vient leur rendre visite et s’installe dans le fauteuil sans dire un mot. Le couple de retraités va devoir trouver un moyen de se débarrasser de lui : « Juliette et moi, nous nous regardions comme des enfants affamés dans le garde-manger d’un ogre. Aucune fuite n’était possible » (Nothomb, 1995, p. 41). Ici, le « je » permet au roman d’imiter la forme du récit autobiographique. Même si les premières phrases du roman son écrites avec « on » : « On ne sait rien de soi, on croit s’habituer à être soi, c’est le contraire » (Nothomb, 1995, p. 9), nous apprenons très vite grâce au « je » qui suit que l’histoire sera racontée par un homme, ce qui nous permet de différencier l’autrice du narrateur : « Depuis que Juliette et moi sommes mari et femme » (Nothomb, 1995, p. 10), cependant, les personnages-narrateurs masculins reflètent toujours un désir de l’autrice, ici la femme du personnage-narrateur Émile s’appelle Juliette, comme le prénom de la grande sœur d’Amélie Nothomb qu’elle considère comme sa « moitié » (Journo, 1997, p. 3), dans un article du journal Libération, la journaliste Nathalie Journo nous livre une phrase de l’autrice qui nous permet de justifier cela : « C’est quand même formidable l’écriture, car voilà, on peut y épouser sa sœur » (Journo, 1997, p. 3). Dans Mercure (1998), Hazel, une jeune femme de vingt-trois ans vit dans un château sur l’île de Mortes-Frontières avec Omer Loncours, un homme beaucoup plus âgé qu’elle qui se présente comme étant son sauveur grâce à un plan bien élaboré. Il lui fait croire qu’elle est défigurée suite à un bombardement dans lequel ses parents seraient morts et la garde séquestrée dans ce château. Seule une infirmière qui va vite comprendre ce stratagème sera en contact avec Hazel. Une nouvelle fois, l’autrice utilise un « je » dans une forme hybride de roman dialogué, se mettant dans la peau d’Hazel, et c’est son journal que nous lisons. L’intervention de l’autrice grâce à une note avertissant le lecteur du choix de deux fins pour son roman nous permet de comprendre que l’histoire est fictive : « Ce roman comporte deux fins. Ce n’était pas délibéré de ma part […] je ne pus choisir entre les deux fins, tant chacune s’imposait avec autant d’autorité à mon esprit et relevait d’une logique des personnages aussi troublantes qu’implacable. » (Nothomb, 1998, p. 171). Dans Robert des noms propres (2002), le corps est une torture et Amélie Nothomb imagine la biographie de son assassin. Récit à la troisième personne inspirée de la vie de la chanteuse Robert : « Amélie Nothomb se donne une autre mission : établir la légende d’une de ses amies, la chanteuse Robert. » (Zumkir, 2002). Amélie Nothomb se nomme elle-même à la fin de son roman : « Pléctrude rencontra Amélie Nothomb » (Nothomb, 2002, p. 188), la fin du livre se termine sur le meurtre d’Amélie Nothomb et la meurtrière n’est autre que Pléc­trude. Cette fin nous laisse donc nous demander si ce que nous venons de lire est bien la réalité, ou si cela est de la fiction. Les conflits intérieurs et les conflits du corps sont présents dans Attentat (2000) dont l’autrice nous propose deux personnages : Épiphane Otos comparé à un monstre hideux et Ethel, jeune comédienne d’une beauté incomparable. Nous serons témoin de l’amour que voue Épiphane à Ethel et qui finira par mener au drame. Dans Comestique de l’ennemi (2001) l’autrice met en scène plusieurs formes d’agression : viol, meurtre, possession, suicide à travers la figure de Texor Texel, l’ennemi intérieur de Jérome Angust. D’autre part, le meurtre est une façon de clore certaines intrigues : Hygiène de l’assassin (1992), Attentat (1997), Robert des noms propres (2002), Les prénoms épicènes (2018), Les aérostats (2020). Il y a toujours à travers ces crimes une réflexion montrant jusqu’où peut aller le sentiment amoureux, la maltraitance physique et psychologique, le désir de possession, jusqu’où chaque sentiment poussé à l’extrême peut-il amener, en l’occurrence ici jusqu’au crime. Tout ceci se déroule à travers les dialogues des personnages. L’autrice nous fait également remarquer les jeux psychologiques entre victime et persécuteur et le renversement de situation qui suit, la victime qui devient persécutrice et le persécuteur qui devient victime, tout est mutation, tout change et puis s’inverse. Toute son œuvre tente de répondre à cette question : Qu’est-ce qu’un être humain ? Cela se passe à travers les dialogues des personnages comme dans Les Catilinaires, Mercure, Attentat, Antéchrista, cependant seuls Hygiène de l’assassin, Péplum et Cosmétique de l’ennemi sont considérés comme des romans dialogués. Catherine Grall définit le roman dialogué comme une oralité fictive : « l’instance fictive qui gère l’histoire, en étant elle-même plus ou moins affirmée dans le texte (narrateur gommé, hétéro-, homo-, autodiégétique, etc.) » (Grall, 2007, p. 256), puisque la parole est partiellement ou totalement donnée aux personnages. Nous avons donc une nouvelle fois une forme hybride de la production littéraire d’Amélie Nothomb puisque nous retrouvons des autofictions dans lesquels se trouvent des intrigues de romans policiers rédigées sous forme dialoguée. De plus, nous pouvons aller plus loin puisque Péplum présente deux dialogues, le second occupant près de cent quarante pages et n’étant encadré que de brèves interventions de la narratrice. Cosmétique de l’ennemi, enfin, prend la forme d’un seul long dialogue (lequel s’avère finalement être un monologue entre Jérôme Angust et son ennemi intérieur). Les Combustibles, bien qu’il porte l’inscription de roman et qu’il soit le récit dialogué d’une histoire fictive, sera plutôt considéré par la critique comme du théâtre : « À l’origine de cette pièce de théâtre qui n’avoue pas son genre. » (Creuz, 1994, p. 13). Il y a donc en plus de l’autofiction, des codes du roman policier et du roman dialogué, une conception du théâtre comme artifice. Comment nommer cette production littéraire contemporaine qui ne rentre dans aucune « case » identifiée par la critique ? En exploitant les procédés du dialogue, du roman policier, de l’autofiction, du théâtre, Amélie Nothomb souligne la capacité qu’a le genre romanesque et par extension la littérature de se renouveler sans cesse, de muter, de devenir hybride.

L’hybridité de la production littéraire d’Amélie Nothomb se montre donc à travers l’utilisation et l’association de différents genres littéraires pour créer une œuvre qui lui est propre. En remodelant les concepts, l’autrice nous offre une nouvelle expérience esthétique. La voix narrative de chacun de ses romans crée un jeu entre le lecteur et l’autrice. Est-ce la réalité ou est-ce de la fiction ?

3. De l’intertextualité à la réécriture

Mais l’hybridité ne s’arrête pas là, en effet, l’intertextualité joue un rôle prépondérant dans l’œuvre d’Amélie Nothomb et vient renforcer le côté hybride et mutant de celle-ci. On en trouve pour preuve de nombreuses références explicites ainsi que des allusions, des jeux de mots, des mises en abyme, la parodie, allant même au-delà jusqu’à la récriture, lui permettant ainsi de construire son œuvre non seulement en procédant à la mutation de la forme de ses livres en jouant avec les codes, les procédés littéraires et en les modifiant, mais aussi en procédant à la mutation du contenu.

Le concept de transtextualité, forgé par Gérard Genette, vient prendre la place du concept d’intertextualité initié par Julia Kristeva qui a pour idée qu’aucun texte littéraire ne s’écrit ex nihilo. Selon Genette, la transtextualité renvoie à « tout ce qui met un texte en relation, manifeste ou secrète, avec un autre texte » (Genette, 1982, p. 7). Bien qu’Amélie Nothomb joue avec tous les aspects de la transtextualité, nous nous pencherons sur l’intertextualité dans son œuvre allant jusqu’à la « récriture » (Gignoux, 2006, p. 4). La récriture est l’action de réécrire, de donner une nouvelle version d’un texte déjà écrit. Le texte « déjà écrit » peut signifier aussi bien « texte déjà publié » que « texte manuscrit » dans ce cas la démarche n’est pas la même. Pour Anne Claire Gignoux « La réécriture est alors la somme de préparations, de corrections et de ratures, de variantes successives d’un même texte que l’auteur écrit – et que, la plupart du temps, il ne montre pas au lecteur » (Gignoux, 2006 p. 4). C’est pour cette raison que le terme récriture est préférable, car il se distingue de celui d’intertextualité :

Les deux concepts ne sont pas synonymes, et la notion de récriture en stylistique doit reposer sur des fondements solides. La récriture est un concept nécessaire, essentiel pour comprendre certaines œuvres entièrement fondées sur elle, puisqu’elle se caractérise par une ampleur, une monumentalité qui affecte tout un roman. (Gignoux, 2006, p. 7)

En récrivant les contes, ou les grands classiques tels que Notre-Dame de Paris de Victor Hugo ou encore la crucifixion de Jésus dans son avant-dernier roman Soif, dans lequel elle construit un nouveau récit en ayant recours à l’uchronie, qui est un genre qui repose sur le principe de la réécriture de l’histoire à partir de la modification du passé.  Terme inventé par Charles Renouvier en 1857, néologisme fondé sur le modèle de « utopie » avec un « u » privatif et, à la place de « topos » (lieu), « chronos » (temps). Étymologiquement, le mot désigne donc un « non-temps », un temps qui n’existe pas. Selon lui, l’auteur d’une uchronie « écrit l’histoire, non telle qu’elle fut, mais telle qu’elle aurait pu être, à ce qu’il croit. » (Renouvier, 1976, p. 3). En effet, dans Soif, nous sommes dans un monologue intérieur, écrit à la première personne et nous assistons aux réflexions du Christ sur son père, le corps, l’amour, la souffrance, l’ingratitude, l’espérance, la foi ou encore la mort, durant une nuit entière avant sa crucifixion. Nous remarquons donc une nouvelle fois le mélange de concepts à travers la mutation d’un texte connu et reconnu, dans lequel nous identifions son hybridité par le récit écrit à la première personne mais qui n’est de façon évidente pas l’histoire personnelle de l’autrice. Non seulement Amélie Nothomb joue avec les codes de la narration, mais elle transforme aussi l’hypotexte grâce à l’uchronie.

Une étude sur la « récriture » dans l’œuvre d’Amélie Nothomb permet une analyse plus précise afin de faire la différence entre ses œuvres qui ont recours à l’intertextualité et celles qui peuvent être considérées comme des récritures à part entière. Amélie Nothomb renverse les mythes, en les récrivant, elle construit un nouveau récit et procède à une revalorisation des personnages. Elle met la mythologie au service de son œuvre, mais c’est également toute la littérature qu’elle convoque. Dans Attentat, bien que le mythe du Minotaure soit renversé c’est aussi à Hugo que s’attaque l’autrice et à son œuvre Notre-Dame de Paris. De plus, avec son personnage érudit Épiphane, elle cite : Baudelaire, Nerval, Wilde, Sade, Bataille, fait référence à Balzac et bien d’autres. Dans Mercure, elle convoque et renverse les mythes d’Amour et Psyché, d’Orphée et Eurydice pour donner une place plus importante aux femmes. Cela passe également par la féminisation de Mercure. De même, dans sa récriture de Barbe Bleue (dont le titre est le même), Amélie Nothomb renverse l’histoire en donnant le pouvoir aux femmes et nous donne les codes pour survivre à cette spirale passionnelle. Dans Frappe-toi le coeur, la Mater dolorosa disparaît pour laisser place à la souffrance des enfants. Souffrance que l’on retrouve dans sa récriture du conte de Perrault Riquet à la houppe dans lequel elle aborde également l’absence de parents, l’enfance, l’adolescence. Nous avons vu à quel point Amélie Nothomb joue avec les genres et les formes de ses œuvres, les fait muter et devenir hybrides. L’intextertualité et la récriture lui permettent également la mutation du contenu des œuvres dont elle se sert afin de les actualiser.

4. La transfictionnalité remodelée

Son œuvre a également recours à la transfictionnalité qui est une pratique dans laquelle « des éléments fictifs (personnages, lieux, univers de référence, données encyclopédiques etc.) sont partagés par deux textes ou plus. » (Saint- Gelais, 2011,  p. 7). Saint-Gelais définit la transfictionnalité comme le « phénomène par lequel au moins deux textes, du même auteur ou non, se rapportent conjointement à une même fiction que ce soit par reprise de personnages, prolongement d’une intrigue préalable ou partage d’univers fictionnel. » (Saint-Gelais, 2011, p. 7). Chez Amélie Nothomb, nous retrouvons ce que Saint-Gelais appelle des « passerelles diégétiques » d’un texte à l’autre ; la transfictionnalité se joue donc dans le récit mais aussi à travers les personnages, à savoir que la transfictionnalité travaille « l’identité de l’intérieur », c’est-à-dire que les personnages ne sont ni tout à fait mêmes, ni tout à fait autres. C’est ici tout le défi théorique de la transfictionnalité à travers les personnages : « à partir de quel degré d’altération un personnage transfictionnel cesse-t-il d’être le ‘même’ ? » (Saint-Gelais, 2011, p. 22). Pour qu’il y ait transfictionnalité il faut que les personnages « s’émancipent et resurgissent en un autre lieu ». Or chez Amélie Nothomb, aucun personnage à première vue ne semble être le même car ils portent des noms différents et ont une vie différente. Les livres ne sont pas considérés comme une suite mais comme de nouvelles histoires à part entière. Nous pouvons donc distinguer un livre de l’autre et les lire dans n’importe quel ordre. Cependant, les personnages se ressemblent, ont des points communs d’un livre à l’autre et sont ainsi liés grâce aux thèmes présents dans chaque livre, le jeu de relations entre ses propres textes et ceux qu’elle reprend d’autres auteurs lui permettent de construire une œuvre cohérente, et les caractéristiques de ses personnages ou de ses intrigues permettent ces passerelles diégétiques. Parmi ses personnages, nous retrouvons également ceux de ses récritures. Nous pouvons donc nous demander si la transfictionnalité fonctionne grâce aux éléments de reprises (tels que les personnages, les thèmes…) dans lesquels sont inclus ceux correspondant à la reprise d’un texte extérieur et donc à la récriture de celle-ci. Autrement dit, l’emprunt d’un personnage tel que Barbe Bleue qui existe chez Perrault intégré dans l’œuvre d’Amélie Nothomb peut-il faire partie de ses personnages à part entière ? De plus, toute la trame de l’histoire récrite peut-elle faire partie de ces relations transfictionnelles ? Dans ce cas, l’intertextualité sert à la transfictionnalité, puisque les éléments externes que l’autrice se réapproprient permettent ces passerelles diégétiques dont a besoin l’œuvre pour qu’il y ait transfictionnalité.

Parmi ces éléments repris, il y a les thèmes des livres. Il est important de relever qu’elle s’appuie pour cela sur un savoir et une érudition philosophique. En montrant par exemple dans Attentat, livre publié en 1997, que la beauté est plus effrayante que la laideur, elle reprend pour ce faire Notre-Dame de Paris de Victor Hugo et nous donne à voir une modernisation de Quasimodo. Dans Attentat, dès les premières lignes, Amélie Nothomb nous offre l’intertexte le plus important de son roman :

La première fois que je me vis dans un miroir, je ris : je ne croyais pas que c’était moi. À présent, quand je regarde mon reflet, je ris : je sais que c’est moi. Et tant de hideur a quelque chose de drôle. Mon surnom arriva très vite. Je devais avoir six ans quand un gosse me cria, dans la cour : « Quasimodo ! » Fous de joie, les enfants reprirent en chœur : « Quasimodo ! Quasimodo ! » Pourtant, aucun d’entre eux n’avait jamais entendu parler de Victor Hugo. Mais le nom de Quasimodo était si bien trouvé qu’il suffisait de l’entendre pour comprendre. On ne m’appela plus autrement. (Nothomb,1997, p. 9)

En effet, elle nous donne le nom de Victor Hugo et celui d’un des personnages les plus importants de Notre-Dame de Paris : Quasimodo. Quelques pages plus loin, elle nous informe que « Dès qu’il y a Quasimodo, il y a Esméralda. C’est comme ça. Pas d’Épiphane sans Ethel. Je jure que je ne me suis pas dit : « Je suis l’homme le plus laid du monde, je vais donc aimer la plus belle d’entre les belles, histoire de rester dans les grands classiques. » (Nothomb, 1997, p. 15). Nous comprenons aisément qu’il va s’agir de la récriture du texte hugolien à travers l’histoire d’un homme laid qui va s’éprendre d’une belle femme. Mais, ce passage souligne aussi le fait que « Quasimodo » est devenu le synonyme de laideur puisque les enfants l’utilisent sans même connaître l’œuvre de Victor Hugo. Cela influence la lecture de l’œuvre hugolienne et invite les lecteurs à la lire. Nous pouvons remarquer que, comme dans Riquet à la houppe, nous avons ici le passage du miroir. À l’inverse de Riquet qui se met à pleurer en voyant son reflet, notre Quasimodo s’en amuse. Ceci nous amène à comprendre qu’Amélie Nothomb abordera la laideur de façon ironique afin de réaliser la récriture de son Quasimodo moderne. L’ironie lui permettra de faire passer des messages forts et ce, dès le début. En effet, Quasimodo alias Épiphane Otos dit qu’il y a « Une volupté à être hideux » (Nothomb, 1997, p. 9), car il prend plaisir à se balader dans les rues et à chercher le regard des passants afin de voir leurs réactions face à sa laideur : « J’adore la terreur de l’un, la moue révulsée de l’autre, j’adore celui qui détourne le regard tant il est gêné, j’adore la fascination enfantine de ceux qui ne peuvent me lâcher des yeux » (Nothomb, 1997, p. 10), mais ceci sert à affirmer que les gens mentent lorsqu’ils disent que le plus important n’est pas le physique mais l’âme :

Il y a quelque chose de mal digéré au sujet de la beauté : tout le monde est d’accord pour dire que l’aspect extérieur a peu d’importance, que c’est l’âme qui compte, etc. Or, on continue à porter au pinacle les stars de l’apparence et à renvoyer aux oubliettes les tronches de mon espèce. Comme quoi les gens mentent. Je me demande s’ils en sont conscients. C’est cela qui m’énerve : l’idée qu’ils mentent sans le savoir. J’ai envie de leur lancer en pleine figure : « Jouez aux purs esprits si cela vous chante. Affirmez encore que vous ne jugez pas les gens sur leur mine, si cela vous amuse. Mais ne soyez pas dupes ! (Nothomb, 1997, p. 10)

Amélie Nothomb remet également en question son hypotexte Notre-Dame de Paris puisqu’elle affirme que les lecteurs ne peuvent qu’aimer Quasimodo car il est si horrible qu’on a pitié de lui et qu’il passe pour une « victime née » (Nothomb, 1997, p. 10), c’est pourquoi, lorsqu’il tombe amoureux de la belle Esmeralda, on lui demande de l’aimer et de ne pas s’arrêter à son physique :

Pourquoi attendrait-on plus de justice de la part d’Esméralda que de Quasimodo ? Qu’a-t-il fait d’autre, lui, que s’arrêter à l’aspect extérieur de la créature ? Il est censé nous montrer la supériorité de la beauté intérieure par rapport à la beauté visible. En ce cas, il devrait tomber amoureux d’une vieille édentée : c’est alors qu’il serait crédible. Or l’élue de son cœur est une superbe bohémienne dont il n’est que trop facile de s’éprendre. Et l’on voudrait nous persuader que ce bossu a l’âme pure ? Moi j’affirme qu’il l’a basse et corrompue. Je sais de quoi je parle : Quasimodo, c’est moi. (Nothomb, 1997, pp. 12-13)

Ici, à travers Épiphane, l’autrice remet en question non pas qu’une belle personne telle qu’Esmeralda puisse aimer un laid tel que Quasimodo, mais la facilité pour Quasimodo de tomber amoureux d’une belle femme, si laid soit-il, alors qu’il tente de montrer que l’amour n’est pas une question de physique. Nous sommes donc ici face à la dénonciation d’un paradoxe. Si Esmeralda doit tomber amoureuse d’une belle âme au physique hideux, pourquoi Quasimodo ne peut-il pas en faire autant ? Grâce à ce passage, Amélie Nothomb désacralise son hypotexte pour en faire un hypertexte moderne, il y a donc mutation de cet hypotexte. Et ceci ne s’arrête pas là. Chez Hugo, Quasimodo devient sonneur de cloches, autrement dit carillonneur de Notre-Dame, ce qui lui permet de cacher son physique et d’être à l’abri des regards :

Séparé à jamais du monde par la double fatalité de sa naissance inconnue et de sa nature difforme, emprisonné dès l’enfance dans ce double cercle infranchissable, le pauvre malheureux s’était accoutumé à ne rien voir dans ce monde au delà des religieuses murailles qui l’avaient recueilli à leur ombre. Notre-Dame avait été successivement pour lui, selon qu’il grandissait et se développait, l’œuf, le nid, la maison, la patrie, l’univers. (Hugo, 1967, p. 171)

Alors que Victor Hugo cache son Quasimodo, celui d’Amélie Nothomb se montre. En effet, ayant besoin d’argent, Épiphane tente de se faire embaucher dans une agence de mannequin. Il explique aux représentants de l’agence que, dans les défilés et les campagnes publicitaires, sa présence aux côtés de leurs mannequins vedettes pourrait produire un effet de contraste qui valoriserait davantage la beauté des jeunes filles. Il réussit alors à se faire embaucher comme mannequin d’un genre nouveau : le « repoussoir » (Nothomb, 1997, p. 51), il aura beaucoup de succès et sera demandé dans tous les grands défilés.

Mais, Épiphane va tomber amoureux d’Ethel, son Esmeralda. Il fait installer un télécopieur chez Ethel, avant de partir en voyage pour rester en contact avec elle. Ce qui à première vue paraît tout à fait normal va prendre une tournure assez sinistre lorsque Épiphane va expliquer son action :

Il faut vivre avec son temps. Au Moyen-Âge je ne serais pas parti au loin sans enfermer ma bien-aimée dans sa tour ou dans une ceinture de chasteté, au XIXème siècle je lui aurais acheté une camisole de force. À présent, au nom de la sotte liberté individuelle, on ne peut plus recourir à ces procédés sages et sûrs. Si l’on veut contrôler les gens à distance, on doit les bombarder de télécommunications. (Nothomb, 1997, p. 114)

Il y a deux choses à tirer de ce passage, la première c’est que grâce à ce système, Épiphane va pouvoir, même à distance, encourager Éthel à quitter son amant, et par un dernier fax avant de rentrer, lui déclarer l’amour qu’il a pour elle. La seconde, c’est qu’en passant par le Moyen-Âge, le XIXème, puis notre époque moderne, Amélie Nothomb fait référence à toute notre culture littéraire et à l’histoire de notre littérature, en passant par nos contes du Moyen-Âge, Notre Dame de Paris d’Hugo au XIXème siècle et enfin Attentat de notre époque moderne. Ceci montre l’évolution de la littérature et ne fait que confirmer le besoin de passer par la récriture pour actualiser des œuvres phares comme celles d’Hugo. Les dernières pages d’Attentat se terminent comme les premières pages, par un intertexte, par des références à la littérature. En effet, Épiphane va se retrouver face à Éthel qui va lui avouer que rien ne sera possible entre elle et lui. Épiphane lui demandant une dernière étreinte en profitera pour la tuer. Cet acte est pour lui la seule possibilité de garder sa bien-aimée pour lui seul :

Il m’est donné d’être enfin seul avec ma bien-aimée. Je lui suis devenu indispensable : elle n’est vraiment rien sans moi. Qui d’autre que moi peut lui rendre la vie par le souvenir ? Qui d’autre que moi, maintenant, peut assouvir son besoin d’exister ? Si Orphée avait été l’assassin d’Eurydice, peut être aurait-il réussi à la ramener des Enfers. Il n’y a pas d’amour impossible. (Nothomb, 1997, p. 153)

En nommant Orphée et Eurydice, Amélie Nothomb fait, une nouvelle fois, référence aux mythes, nomme la création littéraire, l’actualise et nous montre le côté hybride de son œuvre. Épiphane serait donc Quasimodo puis deviendrait Orphée à la fin du roman. En effet, contrairement à Orphée qui ne parvient pas à ramener Eurydice des Enfers, Épiphane parvient à faire revivre Éthel par l’acte de l’écriture et par le souvenir. Ceci pourrait être une belle mise en abime de l’œuvre d’Amélie Nothomb qui fait revivre les plus grands classiques de la littérature par la transtextualité.

Nous retrouvons également la laideur qui est un thème récurrent dans l’œuvre de l’autrice, en effet, nous pouvons la retrouver chez Prétextat Tach dans Hygiène de l’Assassin, Olaf Sildur dans Le fait du Prince ou encore Bernadette dans Les catilinaires. La laideur est souvent associée à la monstruosité via une description physique repoussante de ses personnages. Mais la monstruosité peut se manifester par la violence verbale pouvant même amener le personnage à se suicider comme Textor Texel dans Cosmétique de l’ennemi. L’autrice travaille également grâce aux intertextes la place de la femme dans ses récits pour leur donner plus de pouvoir, par exemple lorsqu’elle récrit Barbe Bleue de Perrault. Cet intertexte de Perrault a permis à Amélie Nothomb de redonner une place importante à la femme, qui n’est plus soumise, qui détient la ruse et la réflexion. Elle fait de nouveau passer un message fort grâce à ce conte : « Aujourd’hui, les femmes sont au moins aussi fortes que les hommes et peuvent se sauver sans eux. » (Nothomb, 2018, lettre inédite). Amélie Nothomb a décidé de récrire ce conte à sa façon car dit-elle : « Dans Barbe Bleue de Perrault, la sottise des femmes m’agace. » (Nothomb, 2018, lettre inédite). En effet, c’est un des pouvoirs de la transtextualité et de la récriture d’actualiser, de faire muter une œuvre.

Amélie Nothomb est beaucoup critiquée pour le côté destructif de ses récritures de ces textes connus, si bien qu’Isabelle Constant dans son article « Construction hypertextuelle : Attentat d’Amélie Nothomb » dans The French Review dit qu’elle « maltraite » ses sources et qu’elle « cite pour subvertir et ridiculiser les mythes hugoliens » (Constant, 2003, p. 936), cependant, Attentat tout comme Riquet à la Houppe sont de beaux exemples de romans attirant notre attention sur ce qu’est une œuvre littéraire et sur la question de littérarité d’une œuvre. Ses romans ne questionnent pas moins les classiques que pour les faire revivre et les actualiser selon notre époque. Les citer ou se servir d’eux comme hypotexte permet au lecteur de les lire ou les relire et donc de ne pas les oublier.

5. Conclusion

Si l’œuvre d’Amélie Nothomb échappe à la classification c’est parce qu’elle n’est que mutation et hybridation tant dans sa forme que dans son contenu. En effet, l’autrice a recours à des registres populaires et savants tout en détournant des textes comme les contes, les récits mythiques et mythologiques, les dialogues érudits en poussant l’intertextualité jusqu’à la récriture. Dans ses œuvres, nous retrouvons également des modes contemporains de narration comme l’autofiction dans lesquels se lient l’écriture de soi et la fiction à travers des intrigues empruntées au genre policier et écrites sous forme de dialogue, mais également en utilisant d’autres genres comme le roman d’anticipation ou encore l’uchronie. L’hybridation de ses œuvres permet de modifier certains concepts comme la transfictionnalité afin de les actualiser. Amélie Nothomb nous offre une nouvelle expérience esthétique contemporaine qui n’est donc pas classifiable et qui marque son identité. Cette hybridité des genres et des concepts et cette mutation du contenu de ses livres à travers ses récritures peuvent expliquer ce paradoxe entre ce peu de critique dans la recherche littéraire, cette difficulté à entrer dans le canon littéraire français en contradiction avec cette présence sur la scène littéraire francophone depuis 1992.

Références bibliographiques
  • Castro, C. (2003). Dans les petits papiers d’Amélie Nothomb. Marie Claire, p. 70.
  • Creuz, S. (6 septembre 1994). Quand la littérature fait long feu. L’écho, p. 13
  • Doubrovsky, S. (1977). Fils. Éditions Galillée.
  • Genette, G. (1982). Palimpsestes. Éditions du Seuil.
  • Grall, C. (2007). Littérature, représentation, fiction (pp. 247-266). Honoré Champion.
  • Hugo, V. (1967). Notre-Dame de Paris. Garnier-Flammarion.
  • Jauss, H. R. (1978). Pour une esthétique de la réception. Gallimard.
  • Jauss, H. R. (1988). Pour une herméneutique littéraire. Gallimard.
  • Lejeune, Ph. (1996). Le pacte autobiographique. Éditions du Seuil.
  • Nothomb, A. (1992). Hygiène de l’assassin. Albin Michel.
  • Nothomb, A. (1995). Les Catilinaires. Albin Michel.
  • Nothomb, A. (1997). Attentat. Albin Michel.
  • Nothomb, A. (1996). Péplum. Albin Michel.
  • Nothomb, A. (1997). Attentat. Albin Michel.
  • Nothomb, A. (1998). Mercure. Albin Michel.
  • Nothomb, A. (2001). Cosmétique de l’ennemi. Albin Michel.
  • Nothomb, A. (2002). Robert des noms propres. Albin Michel.
  • Nothomb, A. (2003). Antéchrista. Albin Michel.
  • Nothomb, A. (2006). Journal d’hirondelle. Albin Michel.
  • Nothomb, A. (2008). Le fait du prince. Albin Michel.
  • Nothomb, A. (2012). Barbe bleue. Albin Michel.
  • Nothomb, A. (2017). Frappe-toi le cœur. Albin Michel.
  • Nothomb, A. (2018). Les prénoms épicènes. Albin Michel.
  • Nothomb, A. (Paris, 2 juillet 2018). Lettre inédite d’Amélie Nothomb à Eolia Verstichel.
  • Nothomb, A. (2019). Soif. Albin Michel.
  • Nothomb, A. (2020). Les aérostats. Albin Michel.
  • Renouvier, Ch. (1876). Uchronie, Esquisse historique apocryphe du développement de la civilisation européenne tel qu’il n’a pas été, tel qu’il aurait pu être. Paris.
  • Saint-Gelais, R. (2011). Fictions transfuges. La transfictionnalité et ses enjeux. Éditions du Seuil.

Notes

[1] Voir URL : https://www.rts.ch/play/tv/12h45/video/interview-de-amelie-nothomb-ecrivain-a-loccasion-de-la-sortie-de-son-nouveau-livre-antechrista?urn=urn:rts:video:562040


Eolia Verstichel-Boulanger. Diplômée d’une licence de Lettres Modernes et d’un master en recherche : Textes, Langues et Écritures à l’Université Polytechnique des Hauts-de-France et formée à l’analyse transactionnelle depuis 2018 à l’Institut d’Analyse Transactionnelle de Lille (France), Eolia Verstichel-Boulanger a débuté en 2019 sa thèse de doctorat sur l’œuvre d’Amélie Nothomb à l’Université du Luxembourg sous la direction de Madame Hélène Barthelmebs-Raguin. Elle est également l’autrice de deux mémoires intitulés : « Réappropriation du mythe d’Amour et Psyché dans Mercure d’Amélie Nothomb » (2017) et « La transtextualité : processus scriptural nothombien » (2018). Elle est également co-autrice de deux comptes rendus publiés par le CALHISTE (Laboratoires de Cultures, Arts, Littératures, Histoire, Imaginaires, Sociétés, Territoires et Environnement) de l’UPHF, intitulés : « À la rencontre de Michel Deguy, autour d’À ce qui n’en finit pas (thrène), 1995. » (2014) et « Michel Deguy : Retour sur cinquante ans d’écriture » (2016). En 2017 et 2018, elle a organisé diverses journées culturelles à l’UPHF aux thématiques diverses : « Réflexions et découvertes théâtrales en partenariat avec le Phénix de Valenciennes », « Le village culturel », « La littérature de jeunesse en présence d’Agnès Debacker », « Le fantastique : évasion et compréhension du monde », « Mythologie et littérature antique: une littérature atemporelle », « La liberté d’expression », « Sur les chemins de la littérature de jeunesse en présence de Juliette Nothomb » et « Les arts de la rue ». Elle est également professeure de français et français langue étrangère au Luxembourg.

Renvois

  • Il n'y a présentement aucun renvoi.