Des fondements transculturels du picaresque au débat terminologique : du picaresque au picarisme ?

Des fondements transculturels du picaresque au débat terminologique : du picaresque au picarisme ?

Bidy Cyprien Bodo / Université Félix Houphouët-Boigny / Côte d’Ivoire
https://orcid.org/0000-0002-9056-9836

Cette étude est une réflexion sur les raisons qui fondent la transculturalité du picaresque. Elle explique pourquoi la culture et l’écriture picaresques sont en capacité d’aller de part en part des frontières littéraires et géographiques. Dans cette optique, l’analyse interroge les fondements du picaresque. Il en ressort, d’une part, que la poétique picaresque s’inspire du conte qui est une pratique culturelle et littéraire transculturelle. D’autre part, le déclencheur du picaresque, l’inégalité sociale, est également propre à l’humanité et donc transfrontalière. En conséquence, l’étude soutient que le picaresque doit (aussi) sa transculturalité au conte et à l’injustice sociale qui le fondent et qui sont, eux-mêmes, intrinsèquement transculturels. Cette approche revisite la piste de l’influence souvent convoquée dans les études sur la pratique du picaresque hors d’Espagne ou d’Europe. Elle propose l’idée de l’existence d’une ressemblance sans contact qui implique un débat terminologique que cette réflexion ne manque pas de mener pour aboutir à une suggestion terminologique : le picarisme.

Mots-clés : Picaresque ; transculturel ; conte ; inégalité sociale ; picarisme

1. Introduction

The Picaresque Hero in European Fiction de Richard Bjornson (1977) et Le roman picaresque de Didier Souiller (1980), les analyses de la revue Caliban, n° XX (1983), intitulées « Aspects du picaresque en Angleterre et aux États-Unis », les travaux dirigés par Bidy Cyprien Bodo (2016), La question du picaresque dans la littérature africaine. Théories et pratiques ainsi que l’article de Chemain Roger (1982, p. 103-110), « Errance picaresque, voyage initiatique et roman africain » sans omettre le texte du Japonais Ikkû Jippensha (1998),[1] À pied sur le Tôkaidô : roman picaresque, témoignent, entre autres, d’une réalité : la présence de la culture et de l’écriture picaresques en Europe, en Amérique, en Afrique, en Asie. À cette fin, la plupart de ces travaux ont fait ressortir ce que nous appelons le « picarocode », c’est-à-dire les éléments constitutifs du picaro dont l’ensemble génère le picaresque, en somme la poétique picaresque opérationnelle dans ces différents continents géographico-littéraires.

L’opérationnalité du picaresque dans ces lieux différents souligne une idée qui fonde cette analyse : sa transculturalité.[2] En effet, comment l’expliquer ? Qu’est-ce qui justifierait sa transcontinentalité ? Pour certains critiques, notamment Roger Chemain, l’une des pistes d’explication est le jeu de l’imitation. À ce sujet, à propos de l’écriture du picaresque en contexte africain, il écrit, après son analyse des traits picaresques de Toundi, le personnage d’Une vie de boy de Ferdinand Oyono :

Nous avons relevé chez Ferdinand Oyono des ressemblances avec le roman picaresque qui postulent une connaissance directe de la littérature espagnole : la surcharge dans la caricature, l’accumulation parfois outrancière de détails grotesques si caractéristiques du style du romancier camerounais, sont en effet beaucoup plus proches du Lazarillo de Tormes. (Chemain, 1986, p. 17)

Notre analyse propose une autre lecture, celle que Michel Foucault nomme « utopie » et qu’il oppose aux « hétéropies » :

Les hétéropies minent secrètement le langage, empêchent de nommer ceci ou cela, brisent les noms communs, ruinent d’avance la « syntaxe », et pas seulement celle qui construit les phrases mais aussi celle moins manifeste qui fait « tenir ensemble » les mots et les choses. (Foucault, 1966, p. 9)

À cette tendance qui arrête les mots sur eux-mêmes au point de frapper de stérilité la pensée, de la figer, Michel Foucault (1966, p. 10-11) oppose « l’utopie » qui recommande, écrit-il, « un œil plus ouvert » puisqu’elle privilégie « une pensée sans espace, des mots et des catégories sans feu ni lieu, mais qui reposent au fond sur un espace solennel, tout surchargé de chemins enchevêtrés, de secrets passages et de communications imprévues ». Cette vision de la pratique littéraire, qui structure cette réflexion, génère la mobilité, la circulation et la rencontre des motifs littéraires.

En tant qu’approche transculturelle du littéraire, l’utopie, dans l’optique de Foucault, se veut, à l’appui de Pierre Nepveu,

Le refus de toute appropriation de la culture à l’intérieur d’une identité et d’un territoire réel, et la conviction que toute culture se définit d’abord par sa capacité d’auto-aliénation, de dépaysement, de migration. La culture, rapporte-t-il, c’est l’expérience même de la rupture et de l’indétermination : elle n’est pas un lieu. (Nepveu, 1989, p.19)

La culture picaresque s’inscrit dans cette « indétermination » ou intranquillité paratopique qui favorise la transculturation. Cette faculté en fait une constituante de la « macrosémiotique internationale des productions symboliques » (Semujanga, 1999, p. 19) qui est perçue comme une sorte de bibliothèque culturelle universelle dans laquelle tout le potentiel esthétique est à la disposition du créateur et dont il peut user à sa guise. Le dire, c’est défendre l’idée que le picaresque est un patrimoine littéraire, dans la perspective de Walter Mignolo (2015, p. 39), « pluri-versel », à « dépouiller de la naturalisation ». Qu’est-ce qui fonde une telle lecture ? Quelle perspective, notamment terminologique, ouvre-t-elle ? Il s’agira, dans cette étude, de mettre en évidence les arguments qui militent en faveur d’une lecture transculturelle de la poétique picaresque et d’en dégager les implications terminologiques.

2. Le picaresque, une poétique ontologiquement transculturelle ?

La transculturalité, « comme le souligne la racine latine trans veut dire de part en part des cultures, ou qui va à travers les cultures nationales, et aussi par-delà, au-delà de la culture » (Semujanga, 1999, p. 29). Sur ce fondement, dire du picaresque qu’il est une poétique ontologiquement transculturelle revient à défendre l’idée d’une culture sociale et littéraire en capacité inhérente d’aller de « part en part » des frontières culturelles et littéraires. Plus précisément, c’est soutenir que cette aptitude découle du fait que la culture picaresque contient en elle-même, dans son être par/en soi et son devenir, les germes de la transculturalité. Elle est en effet structurée voire alimentée dans son fondement par son adresse à aller « à travers les cultures ». La capacité de transmigration du picaresque, sa « pan-territorialité » est justifiable à un double niveau : au regard de sa source (son origine littéraire) et de la nature de son déclencheur.

Pour montrer comment et pourquoi la source du picaresque consolide son statut de mécanismes d’écriture transculturels, intéressons-nous à un dialogue mettant en scène deux personnages de cultures différentes dans le roman Une vie de boy de l’écrivain camerounais Ferdinand Oyono : le personnage africain Toundi et le personnage européen incarné par la femme du Commandant.

La réponse de Toundi à sa patronne, qui fait suite aux inquiétudes de celle-ci au sujet de son probable retour aux croyances ancestrales africaines, situe l’enjeu de notre problématique :

– Tu ne crois plus en Dieu ? Tu es redevenu fétichiste ?

– La rivière ne remonte pas à sa source. Je crois que ce proverbe existe aussi au pays de Madame.

– Bien sûr. (Oyono, 1954, p. 88-89)

Les personnages d’Oyono ouvrent un champ de réflexion qui nous paraît pertinent : la rencontre des imaginaires, nonobstant la différence culturelle. Pour généraliser, il ressort de leur entretien que l’Afrique et l’Europe auraient en commun des modes du dire, des procédés littéraires. Ce qu’ils ont en partage, au regard de la remarque de Toundi et de l’accord de son interlocutrice, est un proverbe, une émanation de la littérature orale en général et du conte en particulier (Pierre N’Da, 1984). Ce constat devrait moins surprendre, puisqu’il est admis que le conte est un genre universel. Sur cette question, on lit sous la plume de Jean-Jacques Vincensini (2002, p. 145-146) que le conte « exprime une tradition orale multiséculaire et quasi universelle. D’abord « populaire » et oral, il est passé tôt en littérature lettrée, où il est devenu célèbre ». On comprend ainsi les précisions de Mohamadou Kane selon lesquelles,

Aucun pays ne peut en revendiquer la paternité exclusive. Ils [les contes] ont proliféré partout où les conditions de vie s’y prêtaient. […] L’histoire ne nous permet pas de supposer qu’il ait existé un peuple privilégié, ayant reçu la mission d’inventer les contes dont devrait à perpétuité s’amuser l’humanité future. […] On sait que l’existence dans plusieurs pays de contes bâtis sur les mêmes thèmes et techniques ne permettent nullement de déterminer l’origine des contes. (Kane, 1981, p. 10-11)

Pour ce faire, le conte brise les barrières géographiques, linguistiques et culturelles. Sa plasticité témoigne de sa capacité de transculturation. Qu’est-ce que cette remarque apporte à la problématique du picaresque comme une poétique fondamentalement transculturelle au regard de ses origines ? Des analystes, à l’exemple de Marcel Bataillon, s’accordent sur une idée : le picaresque naît du conte.

Sur cette question, Marcel Bataillon révélait au sujet du texte Lazarillo de Tormès (anonyme), père du picaro, que les historiettes constitutives de ce roman ont été :

[…] recueillies de la bouche du peuple andalou. Toutes les aventures de Lazare ont une saveur bien caractérisée du conte populaire […]. Il est donc infiniment probable que l’auteur de Lazarillo s’est approprié un fonds d’historiettes préexistantes vulgarisées déjà par le récit oral. Il a mis à profit très certainement les contes. (Bataillon, 1931, p. 15)

Dans un autre texte, Bataillon élargit la provenance des contes dans lesquels a puisé celui que la critique reconnaît comme le précurseur du picaresque :

Ses histoires (celles du Lazarillo) appartiennent à un folklore international et sans âge précis. […] Les folkloristes connaissent des contes dont certaines versions offrent l’agrément supplémentaire d’être contées à la première personne. (Bataillon, 1958, p. 36-37)

D’où le raisonnement suivant : les mécanismes du picaresque viennent ou s’inspirent du conte. Le conte est sa pierre de Rosette. Or ce genre est transculturel. Donc le picaresque, dans son fondement, est transculturel. Ainsi, fille d’un patrimoine culturel commun, la poétique picaresque est ontologiquement portée par une aptitude à la transculturalité. Cette lecture est consolidée à l’analyse de son déclencheur.

Entendons par déclencheur l’environnement, les conditions qui favorisent l’émergence du texte picaresque, ce qui en est la cause. Sur cette question, on retrouve dans les clarifications suivantes de Daniel Marcheix ce qui préside à la convocation des matériaux du picaresque. Il informe que 

L’inégalité des chances de la vie en société, la hiérarchie sociale rigide fondée sur la violence et le mépris des plus petits, le conservatisme politique, social et moral de la classe dominante sont autant d’aspects d’une société dans laquelle la littérature picaresque peut s’épanouir. Le simple bon sens suffit à prouver que ces notions existent dans n’importe quelle société contemporaine ou non. […] La pensée picaresque est donc sans doute étroitement liée à une constance des relations humaines. (Marcheix, 1972, p. 5.)

Un peu plus loin dans son texte, il consolide sa pensée :

La pensée picaresque repose sur deux notions fondamentales qui règlent les rapports du héros picaresque et de la société : l’inégalité et le malheur, la seconde étant la conséquence de la première. […] On la retrouve chaque fois que ces conditions sont remplies. (Marcheix, 1972, p. 117)

Deux idées essentielles ressortent de ces propos. La première est que l’écriture picaresque est directement, inextricablement voire intrinsèquement associée à des conditions sociales douloureuses : inégalité, pauvreté, injustice, manque. C’est dans cet environnement particulier qu’elle naît, s’épanouit. La seconde, qui est fondamentale pour cette étude, est que, comme le notifie le critique, « le bon sens suffit à prouver que ces notions existent dans n’importe quelle société contemporaine ou non ». En d’autres termes, la souffrance est le propre de l’humanité. C’est d’ailleurs ce que souligne Jean-Luc Nancy (1997, p. 5) lorsqu’il écrit dans son analyse de la pensée hégélienne que « le monde se perçoit comme un monde de la séparation, de la douleur, un monde dont l’histoire est une succession d’atrocités et dont la conscience est la conscience d’un malheur constitutif ».

Il en découle cette conclusion : dès lors que les humains, quelle que soit leur situation géographique, ont en commun l’injustice sociale, ils ont également en commun la condition nécessaire à la floraison du picaresque ou sa matrice, plus exactement son destinateur dans l’optique d’Algirdas Greimas (2002).[3] Ainsi, la nature transfrontalière ou transgéographique de son déclencheur[4] – l’inégalité – fonde/justifie la transculturalité de la poétique picaresque. Certes, l’inégalité et le malheur n’ont pas la même intensité sous toutes les latitudes, mais ils sont transfrontaliers à l’image du picaresque qui tire son essence, son existence, de sa volonté d’apprivoiser la souffrance humaine. La dimension humaine du picaresque, le fait qu’il naît de l’écoute des souffrances de l’homme en fait, selon le terme d’Alain Montandon (2016), une « sociopoétique » en convenant avec lui qu’elle est « comme un champ d’analyse qui, nourri d’une culture des représentations sociales avant-texte, permet de saisir combien celui-ci participe de la création littéraire et d’une poétique ». En cela, produit de la sociogenèse, l’écriture picaresque exprime la sensibilité du sujet social dépossédé de son idéal. Conséquemment, elle se donne à lire comme une catégorie esthétique générale propre à l’humanité, surtout l’humanité souffreteuse. C’est ce que met en évidence une analyse générale de l’histoire littéraire africaine, notamment celle du roman dans sa dynamique coloniale et postcoloniale.

Le roman colonial africain (1850-1960)[5] est en effet divisé en deux catégories : le roman du consentement et le roman de la contestation. Ces deux moments littéraires rappellent l’opposition entre le chevaleresque et le picaresque. On sait que le picaresque s’est posé en s’opposant au chevaleresque. Il en est le contrepoint ironique. Cette démarcation porte sur le héros (sujet), la matière, le langage. S’agissant du héros, alors que le personnage chevaleresque se maintient vers le haut (descendance royale), le personnage picaresque est issu du bas, des profondeurs de la société. Désespéré, soumis aux pressions de ses besoins élémentaires, le picaro n’a que faire de l’honneur et du langage savant. Plutôt que de parler d’amour, d’honneur, le picaresque traite de chômage, de faim, de pauvreté, bref, du quotidien traumatisant du peuple représenté par le picaro. Mikhaïl Bakhtine (1978, p. 212) note que son « langage se construit avec le langage qui l’environne ». Étant de basse classe, son discours est populaire, simple, quelquefois vulgaire et truffé de néologismes.

Cette configuration esthétique rend compte des deux moments du roman africain. Ainsi, le roman colonial du consentement s’est inscrit dans la ligne du roman de Joseph Gaston, Koffi, roman vrai d’un noir (1922). Dans ce texte, le personnage africain est présenté comme un grand enfant, un sauvage à apprivoiser par humanité par le personnage blanc. Les romans des premiers auteurs africains se sont approprié cette posture d’où l’idée de roman africain du consentement. Il s’agit, entre autres, de Les trois volontés de Malic d’Amadou Diagne (1920), Force bonté de Bakary Diallo (1929), L’esclave de Félix Couchoro (1929). Ces récits se confondent en louanges à l’endroit du colonisateur en lui attribuant les motifs du chevalier, du sauveur au point où, divinisé, on lit à son sujet dans Force bonté que « comme le ciel qui couvre l’étendue de la terre, la bonté française se voit partout » (Diallo, 1926, p. 139). Comme effet, à l’étude, le roman colonial du consentement porte l’architecture générale du chevaleresque de sorte qu’on peut le qualifier de roman colonial chevaleresque africain. Il s’agit :

– du sujet (héros) : le chevalier blanc sauveur d’une Afrique à civiliser ;

– de la matière : l’apport de la civilisation (mission civilisatrice) ;

– du langage : épique, glorieux, honorifique.

Le roman colonial de la contestation ironise sur cette configuration qui nourrit l’injustice (la colonisation) que consolide cette approche qui chosifie le colonisé. Sur le fondement de cette inégalité, naît une littérature en général et un roman en particulier aux traits picaresques que nous qualifions de roman colonial picaresque. Ses traits picaresques sont les suivants :

– le sujet (héros) : le colonisé (le picaro africain en tant que personnage de basse classe dans la perspective de l’époque) ;

– la matière : l’exploitation, l’injustice, la faim, le manque de liberté ;

– le langage : familier, réaliste, populaire, vulgaire.

On peut citer, à titre illustratif, Une vie de boy de Ferdinand Oyono (1954) dont la nomenclature picaresque se pose comme suit :

– le sujet (héros) : Toundi, le colonisé appartenant à la basse classe ;

– la matière : l’exploitation, la violence coloniale, l’assujettissement, l’inégalité, le manque de liberté, la pauvreté, etc ;

– le langage : réaliste, populaire, familier.

Ce mode opératoire, est à l’œuvre, entre autres, dans Le vieux nègre et la médaille (1956) de Ferdinand Oyono, Ville cruelle d’Eza Boto (1954), Le pauvre Christ de Bomba de Mongo Beti (1956).

Tout comme à l’époque coloniale, l’inégalité et l’injustice sociale ont donné naissance à une littérature postcoloniale à la veine picaresque. Les indépendances africaines ont en effet généré l’ère des partis uniques avec son lot de violences politique, sociale, économique. Elles ont abouti à des guerres civiles et au génocide rwandais. Ces malheurs ont influencé des auteurs au point de produire des textes que Jacques Chevrier (1974, p. 158-168) qualifie de « roman du désenchantement » et Patrice N’Ganang (2007, p. 259) de « roman des détritus » dans sa lecture de la littérature africaine post-génocide.

Leurs textes, alimentés aux malheurs sociaux, sont structurés par « le picarocode », à savoir :

– le sujet (héros) : l’opposant brimé, le personnage appartenant à une ethnie brimée, l’enfant-soldat, l’orphelin, l’enfant de la rue, l’émigré souffreteux, etc. ;

– la matière : l’injustice, la faim, la pauvreté, la guerre, l’ethnicisme, l’émigration, le racisme, etc. ;

– le langage : hyperréaliste, familier, populaire, vulgaire, etc.

Illustrons avec L’aîné des orphelins de Tierno Monénembo (2000) dont l’architecture picaresque se déploie comme suit :

– le sujet (héros) : Faustin Nsenghimana, l’enfant de la rue, l’orphelin appartenant à une ethnie de basse classe ;

– la matière : le conflit ethno-politique, l’injustice, l’inégalité, la faim ;

– le langage : hyperréaliste, populaire, vulgaire.

Le cercle des tropiques d’Alioum Fantouré (1972), Les écailles du ciel (1986) de Tierno Monénembo, Le paradis français de Maurice Bandama (2008), Bleu Blanc Rouge d’Alain Mabanckou (1998), L’impasse de Daniel Biyaoula (1996), Allah n’est pas obligé d’Ahmadou Kourouma (2000), Johny chien méchant d’Emmanuel Dongala (2002), Tarmac des hirondelles de Georges Yémy (2008), Les aubes écarlates de Léonora Miano (2011), Une femme, deux maris de Fatou Fanny-Cissé (2014), Sans capote ni Kalachnikov de Blaise Ndala (2017), etc. sont portés par le « picarocode » . Il apparaît, à la réflexion, comme le remarque Bernard Mouralis (1970, p. 92), que « tout se passe en définitive comme si des situations sociales comparables entraînaient l’emploi par les écrivains de formes romanesques comparables ».

Cette lecture de l’histoire littéraire africaine, qui montre le lien entre écriture picaresque et souffrance, fait écho aux propos des critiques. Pour Daniel Whitman (1979, p. 44), le picaresque est « a form of social criticism ». Didier Souiller (1980, p. 14) accentue cette idée en affirmant que le « picaro est le personnage révélateur d’un pays en crise ». Maurice Molho (1968, p. CXLII) semble clore tout débat en concluant que « dès l’instant que le malheur n’est pas la condition de l’homme, la pensée picaresque jette bas les armes et expire ». Il est à souligner, toutefois, que si l’injustice sociale fonde le picaresque, toute injustice sociale ne donne pas nécessairement naissance à l’écriture picaresque.

De ce qui précède, retenons que la source du picaresque – le conte – et son déclencheur – l’inégalité – qui sont des réalités universelles fondent sa transculturalité/déterritorialité. Ceci dit, comment lever l’équivoque spatio-temporelle posée par ­Molho et qui expliquerait la tendance, en général, à expliquer l’écriture picaresque hors de l’Europe en termes d’imitation, d’influence, de source et cible ?

3. Du mot et de la chose picaresques : éléments de transcendance

Les remarques précédentes, qui font du picaresque une poétique transnationale, ne manquent pas d’interpeller à l’analyse des conclusions de Maurice Molho (1968, p. XVII, CXLI) sur les lieux d’expression de ce genre littéraire dans son approche. « Le picaresque, écrit-il, naît en Espagne et non ailleurs » ou tout au plus, « la pensée picaresque est liée à l’Europe ». L’idée majeure qui porte ces propos est que le picaresque « reste » avant tout occidental.[6] Il y a donc là une approche régionaliste, qui semble s’opposer à l’idée d’une poétique paratopique ci-dessus défendue.

Il est su, en effet, dans une perspective synchronique, que le genre est un type de discours qui a eu une existence concrète et a participé au système littéraire d’une époque. Ainsi, le picaresque, en tant que genre littéraire, est considéré comme une construction propre à des écrivains espagnols des XVIe et XVIIe siècles comme en témoignent, entre autres, les études de Nicole Euvremer, notamment son texte La littérature espagnole au Siècle d’or(2000). Dans un tel cas, qu’est-ce qui permet de dépasser cette restriction et qui appuie le fondement transculturel de ce genre sans baigner dans la lecture de type source (imité) et cible (imitateur) ? La réponse se trouve dans la théorie du mot et de la chose conceptualisée par Robert Escarpit.

Dans son analyse de l’humour en tant que forme littéraire, Robert Escarpit arrive à un constat qui intéresse notre problématique : la double signification de ce genre liée à la problématique du mot et de la « chose » :

L’une sera celle du mot anglais et de la réalité anglaise d’abord […]. L’autre sera celle du mécanisme intemporel et universel que l’analyse permet de découvrir dans l’humour anglais, et qu’on découvre aussi, sous mille autres formes et dans mille autres contextes […]. L’humour n’est pas un phénomène spécifiquement britannique ; on trouverait, hors de toute influence anglaise et dans toutes les littératures, des auteurs à qui s’appliqueraient fort bien le nom d’humoristes. (Escarpit, 1987, p. 10–63)

Robert Escarpit aboutit à ce double sens parce qu’il a reconnu que l’humour, à partir du XVIIIe siècle, est devenu à la fois un trait psychologique répandu en Angleterre et surtout une forme littéraire. La réflexion consciente, dans ce pays, s’est en effet emparée de l’humour et en a fait l’inventaire de sorte que s’est construite une esthétique de l’humour anglais. Il n’empêche que, tout en reconnaissant l’initiative de l’élaboration d’une théorie de l’humour à l’Angleterre, le critique ne peut s’abstenir de remarquer que les mécanismes et la pratique de l’humour existent sous d’autres cieux ; à l’Angleterre la théorisation, à l’humanité la pratique : d’où la théorie du mot et de la « chose » :

D’une part, il y a le mot qui a été inventé ou emprunté pour désigner, dans un certain pays, dans une certaine communauté, un ensemble d’expériences vécues. D’autre part, il y a la « chose », c’est-à-dire le produit fini d’une réflexion qui a logiquement organisé certaines parties de l’expérience originelle, puis qui a généralisé le concept ainsi créé en l’étendant à d’autres expériences étrangères, mais similaires. (Escarpit, 1987, p. 8)

Ainsi en est-il, à l’étude, des techniques du picaresque. Si le mot, voire l’objet verbal, le contenant, le désignant, le concept picaresque (inventé d’ailleurs par la critique au XIXsiècle)[7] renvoie d’abord à la réalité historique et littéraire espagnole, la « chose », en d’autres termes, le contenu global, le mécanisme rationnel, la pratique a son similaire – hors de toute influence – sous d’autres cieux. Il s’agit des dispositifs littéraires que sont, entre autres :

– la naissance infamante,

– le personnage de l’orphelin brimé qui fuit son milieu familial,

– le voyage initiatique, formateur (passage par différents maîtres),

– la vraie/fausse naïveté dans l’optique de la dénonciation des tares de la société (mise en lumière d’un monde d’apparence),

– le personnage-observateur ;

– l’antihéros (refus de l’engagement, peu de scrupules, etc.),

– la lutte pour sortir d’un déterminisme social,

– le mélange des genres,

– la forme pseudo-autobiographique,

– le récit « ouvert »,

– le récit épisodique (structure lâche ou déambulatoire).[8]

Cette « chose » ou ce contenu du picaresque se retrouve un peu partout dans le monde vu ses origines (le conte) de sorte que sa présence dans des textes hors d’Espagne (ou de l’Europe dans l’optique de Molho) n’est pas qu’une question d’influence exogène. Elle est aussi et surtout l’expression de la nature trans-territoriale et par conséquent transculturelle de la « chose » picaresque. On retrouve d’ailleurs la logique du mot et de la « chose » dans la confidence de Senghor portant sur la nature de son horizon d’attente à la lecture d’un texte occidental :

À la découverte de Saint-John Perse, après la Libération, je fus ébloui comme Paul sur le chemin de Damas. Et le Livre des Morts provoqua en moi le même ravissement. Quoi d’étonnant ? Cette poésie n’est pas tout à fait de l’Europe, et ce n’est pas un hasard si Jean Guéhenno affirme que les textes des cosmologies dogon ‘ne sont pas sans analogie avec les poèmes de M. Claudel ou de M. Alexis Léger’. (Senghor, 1990, p. 157)

Le constat d’une pratique picaresque ou de la « chose » picaresque transversale, horizontale, induit, il nous semble, une suggestion terminologique.

4. Transculturalité et problématique terminologique : du picaresque au picarisme ?

Comment dépasser d’un point de vue terminologique, au vu de ce qui précède, la logique spatio-temporelle de Maurice Molho ? Qu’est-ce qui pourrait contribuer à percevoir le picaresque beaucoup plus comme un fait de société transnational qu’une question de nationalité particulière, de territoire ? En effet, un problème de support conceptuel semble se poser à l’examen du double usage du terme picaresque pour exprimer une double idée ou réalité. Ainsi, Blanca Acinas (1997, p. 97) écrit :

Le picaresque se conçoit comme un microgenre – reconnu, utilisé par des écrivains espagnols du temps de Cervantès et on pourrait établir une liste plus ou moins précise, selon les analystes, de ses traits caractéristiques – mais aussi comme un mésogenre d’une portée géographique plus vaste.

Dans une sorte d’antanaclase, le picaresque est présenté à la fois comme un genre national (une littérature éprise du lieu de naissance) et international. Cette situation peut conduire, le plus souvent, à une réflexion de type source (Europe) et cible (manifestation internationale). Ce qui n’est pas toujours vérifié en raison de ses fondements transculturels ci-dessus notifiés. La pratique internationale de ce genre est bien souvent le résultat d’une polygénéricité et s’inscrit, pour ce faire, parmi les « quatre similitudes » répertoriées par Michel Foucault (1966, p. 34), dans « l’aemulatio » qui stipule « une ressemblance sans contact […] ni proximité de lieu ». Il explicite sa pensée :

Par [le] rapport d’émulation, les choses peuvent s’imiter d’un bout à l’autre de l’univers sans enchaînement ni proximité : par sa réduplication en miroir, le monde abolit la distance qui lui est propre ; il triomphe par là du lieu qui est donné à chaque chose. De ces reflets qui parcourent l’espace, quels sont les premiers ? Où est la réalité, où est l’image projetée ? Souvent, il n’est pas possible de le dire, car l’émulation est une sorte de gémellité naturelle des choses ; elle naît d’une pliure de l’être dont les deux côtés, immédiatement, se font face. Paracelse, illustre-t-il, compare ce redoublement fondamental du monde à l’image de deux jumeaux ‘qui se ressemblent parfaitement, sans qu’il soit possible à personne de dire lequel a apporté à l’autre sa similitude’. (Foucault, 1966, p. 34-35)

Sur cette base théorique qui appuie l’idée d’une circulation des motifs du picaresque sans feu ni lieu, la solution au problème soulevé à partir des propos de Blanca Acinas résiderait alors dans une distinction terminologique. Dans cette perspective, à côté du picaresque comme microgenre qu’elle souligne, nous proposons le terme « picarisme »[9] comme mésogenre ou genre transculturel. Il dit un groupe de textes, pluriculturels, pluri-géographiques voire « pluriversels », qui fluctuent autour d’une norme ou d’une structure fondamentale de signification. Il s’appréhendera comme une catégorie esthétique générale, un ensemble de « ressources communes » propres à remplir des fonctions esthétiques et sociales dans une société en crise. Ce picarisme, comme démontré, est de détermination sociale (injustice), littéraire (usage des procédés du conte), idéologique (révolte contre tout assujettissement). En tant que tel, le picarisme se présente comme une des manifestations du « polysystème littéraire » (Itamar Even-Zohar, 1979, pp. 9-26). Il s’entend comme la multidétermination du phénomène littéraire. De ce fait, porté par « l’espace solennel » foucaultien, le picarisme serait perçu comme indifférenciation car le postulat d’indifférenciation suppose l’égalité et donc communicabilité des imaginaires. L’enjeu est de comprendre le picarisme, à l’image du conte dont il exploite certaines formes, dans une logique non patrimoniale et donc dépouillée des questions nationalistes, régionalistes.

Il apparaît ainsi un champ nouveau à explorer : la possibilité de lire le picaresque en tant que microgenre comme une manifestation particulière du picarisme considéré comme le mésogenre, la suprastructure. De la sorte, le picaresque espagnol, suisse, allemand, ivoirien, etc., serait alors perçu comme une application locale du picarisme, une manifestation de la capacité de transculturation, dirons-nous, en fin de compte, du picarisme.

5. Conclusion

Vladimir Propp (1970, p. 31) décelait des « éléments constants, permanents du conte […] ; la parenté morphologique très étroite des contes ». L’idée de « parenté » des contes informe de leur ressemblance, d’une filiation commune et donc de leur stature transnationale. Or, nous avons fait ressortir que le picaresque s’alimente à cette source, se nourrit de ce patrimoine universel ; le conte est son géniteur. Ce qui en fait, par un jeu de contagion, de transfert, voire de partage de « gène », de mécanismes et de stature, une poétique transculturelle dans son essence.

Ce déterminisme ontologique a été renforcé par la sociogenèse du picaresque. Il est apparu comme une forme d’écriture liée à l’injustice, une situation commune à l’humanité avec les possibilités esthétiques que cela génère et que fait ressortir Mohamadou Kane (1981, p. 11) :

Il est certain que les peuples […], placés dans des conditions particulières, ont répondu avec les moyens du bord à certaines exigences intellectuelles, esthétiques et morales. La similitude des situations a fait la similitude des thèmes et des techniques.

L’étude a démontré qu’il en va ainsi du picaresque. Sa pratique transcontinentale découle de « la similitude des situations », en l’espèce l’inégalité, qui déclenche son usage. Pourtant, la nature transculturelle de son origine (le conte) doublée de la dimension universelle de l’environnement propice à son émergence consolident à la fois la permanence et la transculturalité de la culture et de l’écriture picaresques.

Cette lecture, renforcée par la théorie du mot et de la chose de Robert Escarpit, nous a conduit, eu égard aux limites spatiales, nationales, posées ou imposées par des critiques à proposer comme terminologie du dépassement le picarisme. Ce concept est antithétique à la « muraille de la culture prison » (Moura, 1998, p. 157) en ce qu’il transcende la perspective du picaresque régionaliste. Pour ce faire, le picarisme deviendrait une constituante de la « macrosémiotique internationale » ou, selon une autre terminologie, de la « world fiction » (Moura, 1998, p. 193).

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Notes

[1] La précision « roman picaresque » pose à la fois le texte romanesque comme une illustration du genre au Japon et l’auteur comme un critique.

[2] C’est dire que l’objectif fondamental de cette réflexion n’est pas d’identifier, dans le contexte africain, les motifs du picaresque mais, pour l’essentiel, de proposer une piste d’explication de sa pratique africaine qui pourrait s’appliquer à d’autres sphères. Il est donc ici moins question du comment que du pourquoi du picaresque. Par conséquent, pour plus de détails sur les manifestations ou motifs du picaresque africain, le lecteur est renvoyé à l’ouvrage, La question du picaresque en littérature africaine. Théories et pratiquesop. cit.

[3] Le destinateur, selon Algirdas Julien Greimas, est ce qui provoque, déclenche l’action du sujet-opérateur. 

[4] La pensée théologique conforte cette lecture. En effet, on lit dans la Bible, dans Romains chapitre 8 verset 22 : « Nous savons que jusqu’à maintenant toute la création ne cesse de gémir ensemble. »

[5] Cette périodisation tient compte de la « bibliothèque coloniale » qui intègre les textes de Léopold pané (1850), Paul Holle (1855). Voir sur cette question Notre librairie, n° 81 (octobre-décembre 1985).

[6] C’est une des lectures qui expliquent que Howard Mancing (1996, p. 273-291) qualifie Maurice Molho d’« exclusivists ». 

[7] Voir sur cette question Crystel Pinçonnat, Echos picaresques dans le roman du XXe siècle (2003).

[8] Pour plus de détails sur la modélisation du picaresque, lire Crystel Pinçonnat (2003, p. 19-27), Didier Souiller (1980, p. 56-61). Par ailleurs, soulignons, au vu des critères cités, que cette étude prend essentiellement en charge ce qu’on pourrait appeler la « forme simple » ou originelle du picaresque. Il s’agit de ce que Jacques Petit (1971, p. 45-53) nomme la « permanence du picaresque », c’est-à-dire les composantes essentielles ou les invariants. L’analyse se positionne ainsi au niveau du « noyau des traits » ou « type dominant » (Tzvetan Todorov, 1968, p. 96-97) de la poétique picaresque. Toutefois, notamment aux XXe et XXIsiècles, certains textes se distancient de la « forme originelle » ou du « prototype » (Karl Viëtor, 1986, p. 25) tout en gardant des liens avec le roman picaresque. Ils font éclater la catégorie du picaresque. D’où l’idée de « renouveau » (Jacques Petit, Ibid.), de « pseudo-picaresque », « picaresque bourgeois », « thématique et digression picaresques », « forme picaresque sujette à controverses » (Pinçonnat, 2003, p. 12-13). La forme complexe ou actualisation qui en découle et que nous qualifions de « picaricature » fera l’objet d’une analyse particulière pour en dégager à la fois les modalités voire spécificités et les fondements dans le contexte africain. En somme, nous nous servirons des résultats du présent sujet pour nourrir une réflexion sur la réécriture du picaresque africain qui se poserait comme une forme d’intertextualité spéculative ou diffuse. 

[9] Nous l’avons emprunté à Marcel Bataillon. Il l’emploie dans son texte, Le roman picaresqueop. cit., p. 17. Notons cependant qu’il utilise indifféremment les termes picaresque et picarisme de sorte qu’ils ont le même sens : procédés littéraires utilisés par des écrivains espagnols aux XVIe et XVIIsiècles. Nous accordons, pour notre part dans cette étude, une dimension transculturelle voire universelle au picarisme que nous mettons en parallèle et en opposition, dans certains cas, au picaresque. Le picarisme tel qu’employé ici acquiert son autonomie.

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